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présentation du cirque invisible

photo: Stefano Guindani


Brève histoire d'un cirque précurseur, peut-être visionnaire, de Staline à Mao, de Mao à Rocard, de Rocard à Vilar, 
ou comment se faire oublier en devenant invisible...

Avec le nouveau millénaire ont fleuri les histoires, les livres, les thèses sur le "nouveau cirque", je souris 
chaque fois de m'y trouver absent... Ce qui me sied bien, dans le fond, mais est fort éloigné de la vérité...

Il se peut bien que je fus - sans le faire exprès (excusez-moi!) "le père fondateur", à défaut d'être le père Fouettard, 
de ce nouveau cirque. Ce serait bien facile à prouver pour qui consulterait les archives des journaux de 1969 à 1971...

Cependant, je n'éprouve pas d'amertume à me voir oublié. Seulement de l'amusement.

Voici le récit de quelques-unes de mes errances et rêveries...

Je suis né le 2 mai 1937. J'ai été conçu le 15 août 1936 lors des premiers congés payés. Ce qui signifie que je suis
un enfant de l'utopie: sans le Front Populaire et les espoirs nouveaux de la "classe ouvrière", mon père - tourneur
chez Renault - n'aurait pas envisagé d'avoir un nouvel enfant après mon frère (déjà âgé de huit ans en 1936). Mais le
temps était à l'optimisme en cet été 36. On me fit à Anost (Sâone-et-Loire) le jour de la Saint Amour, et lorsque je
naquis en 1937, le désenchantement social était là.

Rien ne me destinait au monde du spectacle. A quatorze ans, un test "d'orientation professionnelle" m'expédia vers...
l'imprimerie. Après une année de formation baclée, me voilà apprenti aux établissements "la photogravure", 10 rue de 
l'université.
Une cérémonie scabreuse - salace - de "bizutage" changea brutalement ma destinée... Humilié, furieux, je cassai la
gueule de mon chef d'atelier et fus congédié sur le champ.

Cherchant au hasard un travail, je me retrouvai( étant par chance le seul postulant) souffleur au Théâtre de la Porte 
Saint-Martin, puis au Théâtre Michel... Je devais soutenir la mémoire précaire de FRANCOISE ROSAY dans une pièce de
MAX REGNIER, "Les petites têtes". Ainsi introduit (ou lancé, si j'ose dire) dans le théâtre par le trou du souffleur,
je me demandai si, justement, je ne pourrais pas faire mon trou dans ce milieu dont j'ignorais tout...
Traînant ci et là - figurant au TNP, ou dans LINDBERG, un film avec JAMES STEWART, ou garçon de piste au cirque 
Médrano... - à 16 ans je décrochai (Dieu sait pourquoi et comment) des petits rôles au théâtre et des apparitions 
(en direct) à la télévision, dans les émissions de MARCEL L'HERBIER...

Un peu plus tard, je rencontrai JEAN-MARIE SERREAU qui me confia un rôle conséquent dans "les Coréens" de MICHEL 
VINAVER.

ROGER PLANCHON vit le spectacle et m'engagea dès la création du Théatre de la Cité, en 1957. J'avais alors 20 ans. 
Je jouai les jeunes premiers avec PLANCHON pendant 4 ans*.Ensuite, ALAIN RESNAIS me donna un rôle important dans 
"Muriel", puis PETER BROOK dans "la danse du sergent Musgrave" de JOHN ARDEN.
Alors que ma carrière au cinéma et au théâtre s'affirmait, j'y mis brusquement un terme et décidai de monter une 
compagnie.
Je créai ainsi 5 spectacles en 3 ans: "Le chevalier au pilon flamboyant" de BEAUMONT et FLETCHER au Théâtre du 
Grand Guignol, "le Revizor" de GOGOL au Centre Dramatique de l'Ouest, "L'auberge des Adrets" à la Porte Saint-Martin, 
et "Cami Chaval" avec la collaboration de CHAVAL à la Comédie de Paris. "Midi moins cinq" de JACQUES STERNBERG et 
YLIPE à l'Opéra de Liège...

Survint alors mai 68, et - comme tant d'autres - je devins fou comme un lapin et me précipitai tête baissée, dès les 
premiers jours, dans ce qu'on appelait alors "les événements"...
Inscrit au parti communiste en 1958 (cellule Robespierre!), j'avais rendu ma carte à l'annonce de la révolution
culturelle chinoise - dont j'étais bien loin de supposer quelles abominations elle couvrait. Mao devint le noble 
successeur de Staline dans le panthéon de mes héros...(2005: aujourd'hui DE GAULLE et CHEVENEMENT sont mes héros)

Mes exploits dérisoires en mai 1968 me valurent d'être emprisonné - un seul jour, il est vrai... Puis mai 68 s'acheva
et je me retrouvai hébété, sonné, vidé. Je n'avais plus aucune envie de demeurer dans le monde "bourgeois" du théâtre
et du cinéma. Cela était terminé pour moi. En ce cas, qu'allais-je devenir?

Au fil de mes réflexions, une idée me vint: le cirque! Oui, le cirque: un art vraiment populaire, pour un public peu 
cultivé, les masses! Ah oui, les masses! Et puis, dans le fond, le cirque n'était-il pas mon rêve d'enfance, à l'instar
du théâtre? Le cirque, bien sûr! J'allais - comme les "établis" maoïstes dans les usines - m'y infiltrer et y faire
enfin mon oeuvre de révolutionnaire pur et dur. Voilà ce que je me fourrais en tête dès le 30 mai 1968...

Le cirque? Mais comment y pénétrer?
J'étudiai la situation des cirques français et étrangers en 1968. En France, quelques familles les possédaient tous:
les BOUGLIONE, les GRUSS, les RANCY, les AMAR. C'était de grands cirques d'environ trois mille places chacun.
JEAN RICHARD tentait - avec succès - d'y prendre pied: d'abord avec ALEXIS GRUSS SENIOR, à qui il loua son nom; puis
seul, en montant lui aussi un grand cirque commercial sans idée véritable de changement.
Je téléphonai à JEAN RICHARD, qui ne m'encouragea guère, m'affirmant à juste titre que ce milieu était très fermé, et
réfractaire à toute nouveauté.
J'envisageai alors de me faire engager dans un cirque, de me faire clown comme d'autres se font prêtres...

L'été 1968, je me mis à l'ouvrage. Je montai un numéro à nette tendance surréaliste, et lorsqu'il fut prêt, je cherchai
du travail - dans un premier temps pour rôder ce numéro dans les cabarets. Je passai une audition à "L'Ecluse", et fus
retenu aussitôt pour un salaire dérisoire en regard de ce que je gagnais au théâtre et au cinéma, juste avant mai 68.
Mais, j'étais heureux. Je me rapprochais de mon nouveau rêve.
Avec ses quatre-vingt places et son public éclairé, "L'Ecluse" ne m'ouvrait certes pas encore les vannes du cirque, 
mais mon destin curieux - pensais-je -ferait le reste... Il le fit. "L'Ecluse" me rapportait des galas de variétés, 
de bons cachets en province, en première partie de chanteurs connus.

Un jour, je me rendis à Reims à un congrès de magie. C'était assez ennuyeux, et je sortis pour prendre l'air...
J'errai au hasard dans la ville, et entendis au loin les cuivres d'un orchestre. Je me dirigeai vers cette musique, et
au bout de cette musique, je vis un cirque. Très grand. Usé. "Le Grand Cirque de France".
Comme je désirais acheter un billet, on me dit que le cirque était plein.
Une intuition fulgurante incongrue me fit demander le directeur. On s'en fut le chercher. Il arriva, furieux d'être
dérangé par un inconnu. C'était ALEXIS GRUSS SENIOR (l'oncle d'ALEXIS GRUSS JUNIOR, futur directeur du "cirque à 
l'ancienne"). Il m'engueula copieusement, puis, soudain, se ravisa: "Bon, je vais vous faire entrer... C'est plein", et
il ajouta, tristement: "C'est plein, oui... Mais...Parce que c'est gratuit! Hélas... C'est une grande surface qui a 
acheté le spectacle pour l'offrir à ses clients. Le résultat est que demain, personne ne voudra payer sa place!"

Dieu sait pourquoi,ALEXIS GRUSS SENIOR avait envie de parler. Il s'installa à côté de moi, dans une loge, et commença
à me raconter sa vie... Cela devait durer plus d'un an!
A la sortie, il me donna son itinéraire, et m'invita à le rejoindre dès que je le pourrais...

J'avais réussi à lui glisser quelques bribes de mes projets, et curieusement, il avait paru intéressé. "Ah oui, le
cirque aurait bien besoin d'idées nouvelles" me dit-il. " Voyez-vous, les forains sont bien plus malins que nous, ils
s'emparent très vite de l'actualité, mettent des fusées sur leurs manèges, à la place des avions, puis des satellites
à la place des fusées... Les forains collent à l'actualité, alors que nous autres, dans les cirques...on vit au siècle
dernier" ( le dix-neuvième, alors). 
La semaine suivante, je rejoignais ALEXIS à Bar-le-Duc.
Son grand navire de toile prenait l'eau de toutes parts. Les recettes baissaient. Le personnel grognait.
ALEXIS m'avait pris pour confident, et bientôt comme factotum, comme homme à tout faire. "Cavalo", en langue du voyage 
( mot fortement péjoratif!)...

Il était loin de se douter qu'il avait près de lui un agent maoïste...
ALEXIS me parlait nuit et jour... Au fil des étapes, nous commencions à échafauder ensemble des projets.
D'abord, mon idée de solliciter auprès des pouvoirs publics une subvention pour son cirque lui plaisait. Je me proposai
de frapper pour lui à la porte du ministère des affaires culturelles. Je le fis.

L'été 1969, la situation du Grand Cirque de France empira. Nous laissions sur la route des camions moribonds, des
employés exténués...
Je connaissais tout sur la vie d'ALEXIS: le petit cirque familial, puis son essor avec le soutien de Radio Luxembourg
et ses émissions de jeux en direct, l'afflux du public, l'argent coulant à flot. Puis - Radio Luxembourg - s'étant
retirée - le déclin...
A Cavalaire, le 20 juillet 1969, la nuit même où deux hommes posèrent leurs bottes sur la lune, nous parlâmes jusqu'au
lever du jour, ALEXIS et moi, dans sa grande caravane rouge...

De cette nuit singulière naquit le projet d'un nouveau cirque, totalement révolutionnaire.
Très vite, pourtant, un différend nous opposa: j'essayais de convaincre ALEXIS d'abandonner l'idée d'un chapiteau de
trois mille places pour choisir une capacité plus modeste de mille places, et par conséquent, opter pour une proximité,
une intimité plus grandes avec le public - mais également pour une réduction considérable des frais quotidiens.

ALEXIS s'emporta à l'idée d'un cirque moins important: "De quoi aurai-je l'air auprès de mes confrères, JEAN-BAPTISTE,
et savez vous ce qu'on dit dans notre milieu? On dit "petit métier, petite recette", c'est clair, non? Si vous tournez
avec un petit chapiteau, vous aurez un petit public." "Mais - lui répondis-je - ALEXIS, regardez donc se qui se passe 
chez vous: vous avez trois mille places et vous recevez en moyenne trois cents spectateurs par séance. Vos frais sont 
énormes, et vous allez sombrer rapidement si vous continuez ainsi..."

Le naufrage survint, en effet. Deux mois plus tard, le Grand Cirque de France s'effondra, interrompit sa tournée et
rentra définitivement dans ses quartiers d'hiver de Reims, route de Vitry...
Malgré ce désastre, une nouvelle fois je rejoignis ALEXIS...
A Reims, tout empirait: électricité coupée, bêtes affamées, huissiers, syndic de faillite...

"ALEXIS - lui dis-je - vous avez là de quoi monter quatre ou cinq cirques. Je vous en prie, laissez moi vous aider, 
partons avec un petit chapiteau, nous y ferons de belles choses!" ALEXIS parut indécis mais me poussa néanmoins à 
faire mes démarches.
Enfin, un jour, - anéanti! - j'appris indirectement qu'il s'était engagé comme artiste avec sa cavalerie au Cirque
d'Hiver BOUGLIONE, puis - plus invraisemblable encore - au cirque JEAN RICHARD, son rival, dont il me disait pis
que pendre...
Je me retrouvais seul, abandonné avec mon projet...
C'est avec ALEXIS GRUSS SENIOR, et lui seul (j'en étais convaincu) que j'aurais pu créer ce nouveau cirque dont je
rêvais, et voilà qu'il s'enfuyait!
Je ne renonçais pas pour autant.

Ma vie prit une nouvelle direction à la suite d'une autre rencontre: celle de FELIX GUATTARI au cours d'un gala à 
la Clinique de la Borde, près de Blois. Pendant que je rangeais mon matériel de magie,GUATTARI me proposa de travailler
avec lui à la clinique de façon ponctuelle...
Je passais en somme d'une folie à l'autre...
Ma vie se partagea entre mon numéro à "l'Ecluse" et à "Bobino" et ma collaboration vaseuse et incongrue avec GUATTARI...
Je n'avais pas pour autant renoncé à l'idée de créer enfin ce "nouveau cirque", mais sans moyens financiers et sans 
matériel, que pouvais-je faire?

J'ai songé, dans un premier temps, à monter un cirque sans chapiteau. Je ne sais pourquoi, j'écrivis à...MICHEL ROCARD,
alors à la tête d'un petit parti, le PSU (Je ne pouvais m'adresser au PCF dont j'avais déchiré la carte au nom de Mao!)...

Le plus curieux fut que ROCARD me répondit aussitôt. Il envoya un de ses collaborateurs frapper à ma porte. Nous nous 
rencontrâmes. Il sembla séduit par mon projet et me le prouva en mettant à ma disposition l'organisation (modeste, 
il est vrai) de son parti à travers la France...
Je pus établir un circuit et ...vendre un spectacle...- qui n'existait pas encore! - sous le titre de CIRQUE BAPTISTE, 
puis de CIRQUE IMAGINAIRE...
Le dernier trimestre de 1969 fut riche en événements oniriques, en plus de la rencontre - et de l'aide - de MICHEL 
ROCARD...

En septembre 1969, dans un journal féminin ouvert par hasard, je vis une photographie: CHARLIE CHAPLIN, en compagnie de
sa fille VICTORIA.
Machinalement, je lus l'article qui accompagnait la photo. CHAPLIN s'apprêtait à tourner avec sa fille un nouveau film,
"The Freak", qu'il avait écrit pour elle...
La jeune VICTORIA avait déclaré au journaliste qu'elle aimait le cirque, et rêvait d'être...clown (il est possible que 
le journaliste avait inventé cela...).
Je regardais longtemps la photo de VICTORIA et ...le soir même, lui écrivis en Suisse, à Vevey - où je savais que les
CHAPLIN vivaient. Logiquement, je n'attendais pas de réponse à ma lettre, mais je crus rêver lorsque, quelques jours
plus tard, la concierge me tendit une enveloppe au dos de laquelle je pus lire: VICTORIA CHAPLIN - Corsier-sur Vevey-
Suisse...
Très rapidement, nous nous écrivîmes tous les jours, et dans la première semaine de janvier 1970, VICTORIA me rejoignit
à Paris...

Avec l'entrée de VICTORIA dans ma vie, le projet de nouveau cirque se trouva étrangement perturbé...sinon compromis.
Pendant presque un an, nous réussîmes à dissimuler son identité, mais à la suite de l'indiscrétion d'une voisine, un
journaliste anglais s'empara de notre histoire, et nous nous trouvâmes soudain pourchassés de tous les côtés par la
pire des presses, celle dite "à scandale". Nous refusâmes de collaborer avec eux, ce qui eut pour résultat de rendre
plus méchants encore leurs articles.

Pour cette presse, j'étais un clochard, un vagabond, un aventurier sans scrupules qui avait enlevé une riche héritière...
Pour eux, je n'avais joué jusque là que dans les rues, mendiant quelques pièces auprès des passants (PLANCHON, PETER
BROOK, SERREAU, MARCEL L'HERBIER, DELANOY, BARATIER, RESNAIS étaient oubliés par ces plumitifs...).
Ces articles, bien sûr, ne firent qu'envenimer la situation - déjà tendue - avec mon illustre beau-père...

Malgré ces problèmes, je n'abandonnais pas mon projet de nouveau cirque.
Mais pour les gens que je contactais, tout semblait faussé. La curiosité envers VICTORIA était plus vive que cette 
idée - saugrenue, alors - de renouveler le cirque...
Néanmoins, je m'obstinais.
J'écrivis à JEAN VILAR et à ma grande surprise encore, il me téléphona aussitôt. L'idée le séduisait. "On va s'amuser
ensemble" me dit-il. "Je t'invite à Avignon avec ton cirque!(qui n'existait toujours que dans mon imagination, mais il 
l'ignorait). Tâche de trouver d'autres points de chute. Ah! On va bien rigoler! Un cirque à Avignon, ça va me changer,
c'est rafraîchissant. Tu monteras le chapiteau (lequel?)Place Montfleury. Nous prendrons en charge la publicité, 
l'électricité, la place. Tu auras du public...et de l'argent! Alors, c'est entendu?"

Il ne restait alors que quatre mois avant le festival d'Avignon. Je n'avais rien. Voilà ce que je fis:
Fort de la proposition de VILAR, j'écrivis un peu partout. A Rennes, GUY PARIGOT et GEORGES GOUBERT nous prendront 
une semaine; nous pourrons répéter là, avant Avignon. On nous signala une famille de cirque qui possédait ( et tournait)
en Gascogne un joli chapiteau de huit cents places: Les MORENO (PIERRE et MARTHE MORENO, leurs filles, et leur gendre
REX BORMAN).
Nous allâmes - VICTORIA et moi - à Bordeaux, et je parvins à convaincre les MORENO de s'associer à nous pour une somme
journalière (800 francs par jour) dont je n'avais pas le premier sou, mais le public nous en apporterait.
Ensuite, je trouvai les artistes dont j'avais besoin: acrobates, jongleurs, cavalerie, etc...
Pour l'orchestre, je fis appel à STEPHANE VILAR - le fils de JEAN - qui avait déjà joué dans un autre de mes spectacles.
Il composerait la musique. Un autre fils VILAR, CHRISTOPHE, serait aussi dans l'orchestre.

En mai 71, GUATTARI organisa notre mariage...à la Clinique de la Borde. Le cirque et la folie vont bien ensemble...
MICHEL ROCARD fut mon témoin, ANDRE DESSERTINE (un BERNARD TAPIE - sans les intrigues - repreneur d'entreprises) fut 
le témoin de VICTORIA.
Nous répétâmes à Rennes dans l'enthousiasme. Tout était nouveau: la musique, les costumes, la mise en piste, et surtout...
l'esprit.
VILAR m'avait demandé le nom du cirque. "Cirque BONJOUR!" avais-je répondu sans réfléchir. Il me rappela encore: "ça me 
fait plaisir que mes garçons jouent dans ton cirque, on va s'amuser ensemble..."
Le lendemain de cet appel, il mourait.

Nous débutâmes à Rennes, changeant de place chaque jour. Aussitôt et en dépit du peu de répétition, le succès fut 
foudroyant. On refusait du monde.
VILAR n'était pas là pour nous accueillir en Avignon où, grâce à lui, le premier nouveau cirque était né...
Prématurément peut-être...

L'engouement du public et de la presse fut immédiat. Nous refusions encore du monde chaque soir, et il en fut de même
après le festival d'Avignon et dans de nombreuses autres villes.
Il eût été très simple alors de poursuivre et développer nos activités sous une forme purement commerciale, mais je 
refusai cette éventualité pour m'obstiner à ne dépendre que de l'Etat (le cirque service public, en somme...).

Le ministère des affaires culturelles de l'époque n'était absolument pas sensibilisé à l'idée de subventionner un 
cirque.
Cela devait prendre quelques années, et d'autres que nous, ensuite, ont profité de nos démarches - alors que nous 
étions déjà retirés, et exilés.
Au moment où je harcelais les pouvoirs publics - sans- résultat _ le parti communiste nous contacta et nous proposa
d'importantes tournées en France (avec ses étranges et puissants organismes: l'ALAP et l'APES)... En même temps, de
hauts responsables de ce parti tentèrent d'obtenir - par notre intermédiaire -  que CHARLIE CHAPLIN vienne présider la
clôture de la Fête de l'Humanité...Nous en parlâmes à mon beau-père, qui ne refusa pas vraiment, laissa entendre qu'il
irait peut-être...et - le jour où il était espéré par ce parti totalitaire - préféra finalement regarder un combat de
boxe à la télévision!
Derechef, le parti communiste nous lâcha, et peut-être nous empêcha de nous produire dans un grand nombre de villes qu'
il contrôlait...

Mes démarches au ministère demeurant stériles, je décidai en 1974 de saborder le CIRQUE BONJOUR et de monter avec
VICTORIA un spectacle léger à transporter. D'une trentaine de personnes, d'une douzaine de camions auxquelles 
s'ajoutaient une cavalerie et des fauves, nous nous retrouvâmes quatre avec nos enfants, sur notre piste.
En évoquant le PCF, j'ai oublié de dire que l'on m'avait confié la direction du Cirque d'Amiens...sans le moindre
budget de fonctionnement! Cela dura presque un an. Le maire communiste Lambs me tenait en haleine. Un jour, lassé de la
situation je m'engueulais avec lui. Le lendemain, un employé de la mairie me pria de déguerpir... et de payer l'
électricité pour ma caravane.
Etrange souvenir que cette direction d'un cirque toujours fermé (j'y revins en 1970 avec FEDERICO FELLINI pour y 
tourner la scène finale des "clowns"). 
Après notre sabordage, SYLVIA MONFORT obtint des subventions pour ALEXIS GRUSS JUNIOR, le neveu d'ALEXIS SENIOR avec qui
j'avais failli collaborer à la création d'un "nouveau cirque" en 1969. L'arrivée de MITTERRAND à la présidence et de
JACK LANG à la culture favorisa alors la création d'autres compagnies de cirque, et j'ai pu entendre - non sans pouffer - 
JACK LANG déclarer gravement que le nouveau cirque venait de naître (grâce à lui, bien sûr!)...

Hors de France, on commençait également à réaliser d'autres projets. C'est ainsi que BERNARD PAUL nous proposa une
association en Allemagne (avec le CIRQUE RONCALLI), que nous déclinâmes. Des canadiens également - créateurs du 
CIRQUE DU SOLEIL - essuyèrent notre refus (poli). Leurs projets passéistes étaient éloignés de nos goûts, mais ils
connurent un succès extraordinaire. Naturellement, ils revendiquèrent d'une seule voix qu'ils étaient les premiers à
renouveler le cirque, et bien d'autres le firent par la suite pour le bonheur des journalistes...

Nous perdîmes peu à peu contact avec la France pour étendre nos activités à toute l'Europe, puis aux USA, à l'Australie,
au Japon...
En 1990, nous créâmes à Florence un nouveau spectacle, LE CIRQUE INVISIBLE, titre épatant pour la France d'où nous
sommes absents!
Trente ans ont passé depuis la création du CIRQUE BONJOUR en Avignon, et c'est d'Helsinki que j'écris ces lignes...

Les écoles de cirque se sont multipliées. On jongle à chaque coin de rue. Les subventions soutiennent d'innombrables
compagnies. On cherche son clown intérieur. Les nouveaux cirques pullulent. Les festivals foisonnent. Les nez rouges
envahissent la planète...

Nous tentâmes parfois de reprendre pied en France, de nous produire à Paris. Peine perdue... Quelques projets se sont 
présentés...Mogador avec Lumbroso - qui après nous avoir pressentis, s'est empressé de mourir...La Villette, dont le 
directeur fut aussitôt viré. Le Théâtre Antoine, qui changea d'avis sans avoir la bonté de nous en informer. Les
Bouffes du Nord, où la directrice, Micheline Rozan, désirait que notre spectacle fut remis en scène par PETER BROOK...!

Paris se refuse, alors que les capitales du monde entier s'offrent à nous...Ce paradoxe, après tout, nous fait sourire, 
VICTORIA et moi...
Serions-nous punis d'avoir été les premiers? Privés de France? Interdits de Paris?
Bah! Ce long exil, pour un cirque invisible, n'est que justice, après tout! En trente ans, nous n'avons produit que 
trois spectacles:
 - celui du CIRQUE BONJOUR,
 - le CIRQUE IMAGINAIRE pendant quinze ans,
 - le CIRQUE INVISIBLE depuis 1990.
En fait, j'aurais aimé n'en faire qu'un seul, et le peaufiner sans cesse...
J'ajoute que, très vite, nous avons fui les médias, les reportages, les interviews, les conférences de presse, les 
télévisions...
...Pour faire bonne mesure, nous avons également refusé les subventions de l' AFAA dont - curieusement - notre vieil 
ami JEAN DIGNE était le directeur...

Faut-il croire que la France nous est interdite? Que nous sommes les victimes d'un charme étrange? Non, certes non, et 
les trois villes françaises dans lesquelles nous avons travaillé brièvement en 2000: la Rochelle, Le Creusot et Dijon,
nous ont prouvé que le public français, en dépit de son exotisme, pouvait nous aimer...
En somme, nous avons illustré parfaitement cette phrase trop connue: "Nul n'est prophète..."etc...
Mai 68, MAO, ROCARD, FELIX GUATTARI, VILAR, CHAPLIN, ALEXIS GRUSS SENIOR se sont envolés... Le CIRQUE BONJOUR a peut-
être existé. Jadis. Après tout.

2005...La France de nouveau nous accueille Le Havre, Martigues, Le Mans, La Rochelle, Clermont Ferrand, Narbonne,
Montpellier et Paris au théâtre du rond point en mai 2007...
Dois-je préciser (est ce bien utile?) que je ne suis plus maoïste depuis 30 ans mais Gaulliste et Chevènementiste...


										JEAN BAPTISTE THIERREE

* Aramis, les 3 Mousquetaires
Le Prince de Lancastre,  Henry IV
Lubin, seconde surprise de l'Amour
Spencer, Edouard 2
Valère, Tartuffe
Lorenzo, Lorenzaccio
Perdican, on ne badine pas avec l'Amour
Fortunio, le Chandelier


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