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présentation du cirque invisible


LE MONDE  dimanche 19 - lundi 20 décembre 2004
article de VERONIQUE MORTAIGNE

Successivement CIRQUE BONJOUR et CIRQUE IMAGINAIRE, la troupe est née des rêves d'un ancien maoïste et de la fille
de CHARLIE CHAPLIN.

Le CIRQUE BONJOUR, le CIRQUE IMAGINAIRE, le CIRQUE INVISIBLE, trois cirques, soit trois « spectacles », en presque 30 ans,
 à géométrie variable, avec quelques déclinaisons sémantiques (le CERCLE, l’INVISIBLE, le CERCLE INVISIBLE, dernier de 
leurs souhaits) : voici une sorte de rareté organisée, mais multiforme. Ils sont deux pour ce chef-d’œuvre, visible un 
peu partout en Europe – en ce moment en Italie – mais peu en France 
où ils sont bizarrement boudés, peut-être parce qu’ils ont créé au début des années 1970 une spécialité devenue française
 sous Jack Lang, le « nouveau cirque ».

Elle est fil-de-fériste, se balance sur un trapèze avec de très longs cheveux tombants, mais elle est surtout transformiste
à faire pâlir le petit BRACHETTI, ARTURO, qui sait se changer à la vitesse du zapping télé alors qu’elle met toutes 
les minutes qu’il faut pour se métamorphoser en autruche, en femme-cheval, en serpent, en papillon, en oiseaux oniriques.
Costumes de taffetas, de moire, de satin, à l’architecture savante. Il y a des machines rêvées  et une stupéfiante 
symphonie pour verres à pied.

Lui, manipule les objets. Une minuscule cafetière rouge devient géante, un lapin sort de la poche d’un délicat pastiche 
de prestidigitateur, puis ce sont 10, 20 lapins blancs bien élevés qui arrivent en scène, doublés par des clones 
mécaniques. Il jour l’homme-opéra dont le chant sort de la bouche de ces deux masques italiens, un sur chaque genou. 
Il a des valises de saltimbanque, avec des accessoires, des paysages, des toiles de Jouy et beaucoup, beaucoup de 
culture, une culture classique, solide, profonde. Et un émerveillement constant.

Ces deux-là sont hors du commun. Elle, VICTORIA CHAPLIN, cinquième enfant et troisième fille de CHARLIE CHAPLIN.
 Lui, JEAN-BAPTISTE THIERREE, acteur et agitateur d’obédience maoïste. Ils ont deux enfants, AURELIA CHAPLIN et 
JAMES THIERREE, tous deux consacrés à ce cirque en solitaire qui n’en est pas un, mais le représente tout entier.

Donc, ils se marient un jour de mai 1971, à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher), où FELIX GUATTARI, l’auteur avec GILLES 
DELEUZE de « l’anti-Œdipe »,tient expérience de psychiatrie ouverte à la clinique de La Borde. Michel Rocard est 
le témoin du marié. « Je fus, dit le député européen, un acteur bénissant et encourageant de leurs tentatives. »

Peu avant, JEAN-BAPTISTE, fils d’un tourneur de chez Renault, « conçu le 15 août 1936, lors des premiers congés payés,
 né en 1937, quand le désenchantement social était là »,  était tombé en arrêt devant une photo de VICTORIA avec 
son père.. Il lui avait écrit, elle avait répondu. Il donnait alors spectacle au cabaret parisien « l’Ecluse », 
jouait à la clinique de La Borde par intérêt pour ces patients libres auxquels on proposait des arts et du
théâtre, tournait en utilisant la logistique d’un petit parti de pointe, le PSU. VICTORIA avait 18 ans, son père
 venait de lui écrire un film, THE FREAK, une histoire de femme-oiseau. Elle voulait être clown, elle s’envola vers 
JEAN-BAPTISTE  THIERREE.

Le jeune homme avait commencé sa carrière au théâtre « par le petit trou », souffleur, et JEAN-MARIE SERREAU lui 
avait confié un rôle dans « les Coréens », de MICHEL VINAVER. ROGER PLANCHON l’amène au Théâtre de la cité de 
Villeurbanne, dont le manifeste précisait : « Le répertoire sera consacré aux œuvres les plus caractéristiques et 
les plus proches de notre temps. » En pleine guerre d’Algérie, le voici ARAMIS  dans « Les Trois Mousquetaires », 
LANCASTER dans « Henri IV », SPENCER dans « Edouard VII ; puis, en 1963, BERNARD AUGHIN,  tortionnaire repenti, 
dans "Muriel » d’ALAIN RESNAIS, au côté de DELPHINE SEYRIG. Et encore au théâtre  avec PETER BROOK. Mai 1968
ébranle le jeune premier. « Je n’avais plus envie de rester dans le monde « bourgeois » du théâtre et du cinéma. 
Qu’allais-je devenir ? Une idée me vînt, le cirque. Un art vraiment populaire, pour un public peu cultivé, pour 
les masses ! J’allais (comme les « établis » maoïstes dans les usines) m’y infiltrer et y faire enfin mon œuvre 
de révolutionnaire. »

PREMIERS PAS D  « ETABLI »
En 1971, le cirque de JEAN-BAPTISTE et VICTORIA n’existe pas, mais JEAN VILAR vient de l’inviter au Festival d’Avignon,
 du jamais vu – « On va s’amuser ensemble », dit Vilar. Ils cherchent des artistes, embauchent le CIRQUE MORENO, deux 
fils de VILAR pour la musique,  et VILAR meurt. Mais le CIRQUE BONJOUR – c’est son nom – est né. « Tout était
 enthousiasmant, dit encore JEAN-BAPTISTE : la musique, les costumes la mise en piste et, surtout, l’esprit. » 
L’esprit est caustique, distancié, comme il peut l’être aujourd’hui chez JOHANN LE GUILLERM, dont le spectacle 
« Secret », a été donné à Avignon en juillet. JEAN-BAPTISTE avait fait ses premiers pas d’ « établi » au cirque 
avec ALEXIS GRÜSS SENIOR, patron du Grand Cirque de France, trois mille place, au bord de la faillite. GRÜSS est 
progressiste. « Il me dit : les forains sont plus malins que nous, ils s’emparent de l’actualité, mettent des fusées 
sur leurs manèges à la place des avions, puis des satellites à la place des fusées…, alors que nous dans les cirques, 
on vit au siècle passé. » THIERREE propose de resserrer l’affaire en petits chapiteaux, mais la réputation d’un cirque 
se mesure alors à sa taille…

JEAN DIGNE, futur directeur de l’association française d’action artistique (AFAA)dirige alors le festival d’Aix 
ville ouverte aux saltimbanques.  Il se souvient : « Le CIRQUE BONJOUR a ouvert un champ artistique. Ils sont alors
 arrivés dans ces ZUP qui accueillaient les pieds-noirs, ils changeaient l’espace urbain, mais dans l’espace du cirque. 
C’est du théâtre vivant joué avec les ressources du théâtre grec et un humour grinçant. » Le cirque nouveau n’est plus
 seulement une succession de numéros, il a un scénario, une écriture.

Aucun spectacle du CIRQUE INVISIBLE n’est agencé de la même manière. « Ce sont des chercheurs, une équipée vivante, 
une mutation, dit encore JEAN DIGNE. Ils portent une histoire humaine dans leurs muscles, pas une histoire romantique, 
quelque chose de plus profond : les mondes qui portaient se sont fécondés. »

Mais le duo refuse le jeu médiatique, tente de se protéger des malentendus, l’ombre de CHARLOT est lourde, les 
relations politiques cassantes. En 1970, ils se battent pour que le cirque soit subventionné à l’instar du théâtre,
ils font chou blanc. Vingt ans plus tard, quand l’Etat aide à l’expansion du genre, favorise les tournées, 
JEAN-BAPTISTE THIERREE refuse tout carcan institutionnel. L’INVISIBLE est exigeant.

VERONIQUE MORTAIGNE



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